Paroles d ’Argent - La lettre d’information de Finances & Pédagogie

N° 70 - Avril 2011.

A la une : Des jeunes plus autonomes,
mais moins indépendants

Edito

Depuis des années, Finances &
Pédagogie a fait de l’éducation
fi nancière et budgétaire des jeunes
une priorité. En 2010, ce sont 16 000
jeunes en établissement scolaire,
élèves, étudiants ou apprentis, qui
ont ainsi bénéfi cié de ses formations.
Elles visent à leur apporter un
bagage de base, un socle commun
de connaissances et de références
sur des thématiques liées à la
consommation, à la gestion du budget
et à la relation bancaire. Il apparaît en
effet que plus l’éducation fi nancière
et budgétaire est précoce, plus elle
a de chances d’être effi cace, c’est-à-
dire de contribuer à une meilleure
insertion bancaire et fi nancière, et
à la prévention des situations de
surendettement. Cela commence par
une gestion optimisée de l’argent
de poche puis du budget, pour se
poursuivre par un meilleur usage
des services bancaires, notamment
pour concrétiser des projets (prêt,
assurance…). Pour les jeunes qui sont
sur le point de s’engager dans la vie
active, maîtriser les notions fi nancières
de base et disposer de repères
budgétaires ne peut que faciliter et
assurer leur autonomie.

Des jeunes plus autonomes, mais moins indépendants

Les jeunes aspirent à l’autonomie et, de plus en plus, leurs parents
les y encouragent. Mais entre la prise d’autonomie (faire ses propres
choix) et l’indépendance (disposer de ses propres ressources), il y a un
pas qu’il devient diffi cile de franchir avec l’augmentation du chômage
et du prix des logements. A tel point que la prise d’autonomie se fait
souvent dans la dépendance vis-à-vis des réseaux familiaux.

UNE PLUS LONGUE JEUNESSE

Pour Guillaume Macher (cf. encadré), " on devient adulte dès que l’on
a un logement à soi, un emploi stabilisé et que l’on commence à vivre
en couple, même si des allers-retours (chômage, séparation, etc.) vont
brouiller les cartes. " La jeunesse peut ainsi se défi nir comme la période qui sépare la fi n de la scolarité obligatoire de l’indépendance financière et résidentielle. Après-guerre, la fi n du service militaire ou l’obtention du diplôme allaient de pair avec le mariage et l’accès durable à l’emploi.
Aujourd’hui, les seuils sont plus fl ous et l’entrée dans la vie adulte est
retardée.
Premier responsable de ce retard : l’allongement des études, dans une
société qui fait souvent des diplômes la clé pour entrer sur le marché du travail et s’y maintenir, plus encore en période de crise. Mais même avec des diplômes, la précarité de l’emploi touche de plus en plus durement les jeunes qui enchaînent stages, intérim et CDD. Toutes choses qui ne facilitent pas la prise d’indépendance.

L’INDEPENDANCE PASSE PAR L’EMPLOI

S’y ajoutent l’absence d’allocation pour les jeunes
adultes ou des critères
d’accès au RSA très complexes.
En 2005, quasiment
la moitié des jeunes
âgés de 18 à 29 ans vivait
chez leurs parents. La
décohabitation concerne
seulement 17 % des étudiants, 62 % des jeunes ayant un emploi temporaire et 82 %
de ceux ayant un emploi permanent. L’accès à un emploi
stable, qui n’intervient en moyenne que vers 28 ans, est
donc le plus sûr moyen de prendre son indépendance et de
pouvoir la fi nancer.
La décohabitation n’est plus forcément synonyme d’indépendance
fi nancière : 14 % des jeunes décohabitants déclarent
bénéfi cier d’aides provenant essentiellement des
parents. La moitié des parents apporte ainsi une aide fi nancière
à leur enfant. Les jeunes étudiants sont les plus aidés :
60 % reçoivent des apports d’argent qui représenteraient un
tiers de leurs revenus. Mais l’installation dans un logement
ou la recherche du premier emploi sont également des périodes
où les aides familiales sont importantes.
Mais tous les jeunes ne bénéfi cient pas de la solidarité familiale
et la prise d’indépendance peut entraîner une certaine
précarité. La moitié des pauvres avait moins de 35 ans
en 2008. Les jeunes sont plus nombreux à habiter des logements
très petits, mal isolés, voire insalubres, ou à subir des
restrictions de consommation.

AUTONOMIE BANCAIRE

La précarité, la faiblesse de leurs revenus et/ou le manque
d’indépendance fi nancière limitent les rapports des jeunes
à la banque. En outre, ils éprouvent généralement une certaine
appréhension envers cette institution : il est rare qu’ils
consultent leur banquier ou lui signalent des diffi cultés à
venir (défaut de provision sur le compte, risque de rejet
d’un chèque…). Les retards de paiements et les découverts
bancaires sont d’ailleurs deux fois plus fréquents chez les
jeunes. Un manque d’anticipation qui peut avoir de graves
conséquences lorsque les revenus sont modestes.
D’où l’obligation de recourir aux solidarités familiales quand
elles existent, et même si elles remettent en question l’indépendance.
Les diffi cultés économiques ne sont pas seules
en cause : la dépendance affective vis-à-vis des parents, les
différences d’éducation liées au sexe de l’enfant et à la culture
jouent également beaucoup dans la prise d’autonomie.

L’ACCOMPAGNEMENT DES PARENTS

Pourtant, on peut accéder tardivement à l’indépendance,
mais y être préparé. Les parents jouent aujourd’hui un rôle
d’" accompagnement " qui n’est pas sans paradoxe : ils encouragent
fortement leurs enfants à l’autonomie tout en
ayant un oeil sur ce qu’ils font de l’aide reçue. La France se
situe à mi-chemin entre le modèle nordique (fondé sur la
culture de l’autonomie) et méditerranéen (plus familialiste).
Les parents français se mobilisent par exemple fortement
autour de la scolarité de leurs enfants comme facteur de
leur indépendance fi nancière. Pour dépasser ce paradoxe
tout en garantissant une réelle indépendance, l’information
et l’éducation fi nancières sont plus que jamais nécessaires.

"Il faut distinguer autonomie et indépendance"

Questions à Guillaume Macher, sociologue,
université Paris V – René Descartes

Comment défi nir l’autonomie fi nancière des jeunes ?

Il faut distinguer l’autonomie de l’indépendance. L’autonomie
se défi nit comme la disposition des personnes
à se gouverner par elles-mêmes, à faire leurs propres
choix. L’indépendance, c’est disposer de ses propres
ressources. En matière fi nancière, je parlerai plutôt
d’indépendance.
Au collège, on est dépendant de ses parents d’un point
de vue fi nancier, même si on peut commencer à être
autonome sur la gestion de son temps, ses sorties, ses
loisirs, ses déplacements. Chez les jeunes majeurs, la
question qui se pose est moins celle de l’autonomie que
celle de l’indépendance (logement, revenu propre, etc.).
L’enjeu de la sortie de la jeunesse est de sortir de la dépendance
fi nancière vis-à-vis de ses parents, en France
du moins, ce qui est moins vrai au sud de l’Europe.

Aujourd’hui la prise d’autonomie n’est-elle pas plus
longue, plus tardive ?

Au contraire, elle est plus précoce ; on peut aujourd’hui
parler d’une injonction sociale, relayée par les parents,
à ce que leur enfant soit autonome le plus tôt possible,
dès l’entrée en 6e. Mais le processus est long.
Aujourd’hui, les diffi cultés d’accès au premier emploi, le
prix du logement dans les grandes villes, etc., retardent
la décohabitation et freinent la prise d’indépendance.
Cette dépendance matérielle peut être un frein à la prise
d’autonomie.

L’indépendance fi nancière est-elle un élément parmi
d’autres ou un facteur clé de l’autonomie ?

Tout dépend des attentes véhiculées par la société.
En France, il est stigmatisant de ne pas subvenir à ses
besoins à un certain âge. Mais les choses évoluent avec
le développement du chômage et de la précarité. Les
parents admettent aujourd’hui devoir aider leurs enfants.
Du moment qu’ils ne lient pas aide fi nancière et imposition
de choix de vie, l’autonomie n’est pas menacée.
On pourrait sans doute parler d’un nouveau modèle
d’autonomisation.

Le rôle des parents dans la prise d’autonomie a-t-il
évolué ?

Oui, considérablement. L’autonomie est devenue un projet
éducatif dans la famille et à l’école. Dans la famille,
cela implique de pouvoir discuter les règles. Le rôle de
parent est de ce point de vue beaucoup plus exigeant.
Dans les années 1960, l’autonomie était acquise quand
on acquérait la raison. Aujourd’hui, cette logique est
toujours de mise, mais elle est en parallèle, voire en
concurrence avec une logique de l’accompagnement.
On laisse l’enfant naviguer dans un cadre, voire participer
à la défi nition de ce cadre.

Pour aller plus loin

 Guillaume Macher, L’adolescence, une chance pour la ville, Les
carnets de l’info, 2010.
 Yves Jauneau, " L’indépendance des jeunes adultes : chômeurs et
inactifs cumulent les diffi cultés ", Insee Première n°1156, 2007.